Francis Albert Sinatra & Antonio Carlos Jobim - the complete Reprise Recording - 2010

Considéré comme le Gershwin brésilien, Antonio Carlos Jobim resta marqué très jeune par l’esthétique de Debussy et la scène west-coast des années cinquante, d’où il parvint à tirer des ambiances crépusculaires d‘une épaisseur émotionnelle intense et obsédante. Si cet esthète de la bossa nova, reçoit l’onction de la célébrité grâce à l’adaptation au cinéma de la pièce du poète écrivain Vinicius de Moraes « Orfeu da Conceição » - un travail réalisé en collaboration avec Luiz Bonfà, celui qui composa « Manhã de Carnaval » -, œuvre qui sera couronnée d’une palme d’or à Cannes en 1959 avec le film de Marcel Camus (Orfeu negro/Black Orpheus), c’est avec l’irruption du « Jazz samba » de Stan Getz et Charlie Byrd en 1962 et le standard « Desafinado », que son nom devient véritablement une légende. Bien que l’embrasement furieux pour ce mouvement amorce son déclin dés la fin des années soixante, Sinatra, qui n’avait alors que peu flirté avec les rythmes brésiliens à l’exception de « Fly me to the moon » en 1965, décide de s’associer au maître du genre pour un récital entièrement bossa. Généreuse compilation donc, que cette superbe édition des sessions nocturnes de Sinatra avec Jobim, rassemblant l’intégralité des 2 albums de 1967 et 1969, enregistrés respectivement entre le 30 janvier et 1er février 1967, puis du 11 au 13 février 1969. Une tension particulière nimbe la somme de ces instants précieux, où les pièces d’envergure se succèdent et où le maestro des crooners met quelque peu de côté sa nonchalance et son timbre flegmatique, pour ainsi découvrir l’essence d’une fragilité, ligne de fuite bien spécifique au regard du reste de sa discographie. Peut-être cet aspect, constituait-il une entorse à son image ou offensait-il sa pudeur, l’encourageant à renoncer au moins à l’exploitation commerciale de sa deuxième rencontre avec Jobim ? Le fait n’est pas certain mais il semble que l’album mort-né de 1970 intitulé Sinatra-Jobim (fruit de la 2e session) ait été rappelé par la Warner selon le propre vœu de Sinatra qui aurait lui-même téléphoné au label « reprise », ou bien que la Warner, sur sa propre initiative aurait seule décidé d’en ajourner la distribution…il ne resterait aujourd’hui que trois exemplaires de par le monde, et récemment encore un de ces enregistrements se serait négocié à 4550$ sur ebay !!! Quoi qu’il en soit, la sortie de « Watertown » qui remplaça le Sinatra-Jobim fut un des plus grands échecs pour le chanteur, puisqu’il n’atteignit seulement que la 101e position dans les charts… Aujourd’hui, nous pouvons considérer la restitution de ces inestimables contenus enfin effectives. Ces mornes Bossas recèlent bien des richesses harmoniques faites de nuances légères et subtiles, elles sont l’aveu de tout le « classicisme » d’ A. C. Jobim, et les arrangements « serviles » et raffinés de Claus Ogerman, faits de discrets et feutrés contre-chants de cordes accompagnent idéalement, tout comme ceux, dans un autre style, plus fleuris d’Eumir Deodato, plutôt connu pour avoir osé « pastiché » avec impertinence, l’ouverture du Zarathoustra de Strauss en 1972. On ne saurait manquer de dire la bouleversante interprétation de Sinatra sur « Quiet nights of quiet stars », « Meditation » ou « How insensitive », pareillement sur « Girl from Ipanema », sur « Dindi », que Jobim avait composé à l’intention de la chanteuse brésilienne Sylvia Telles, disparue peu de temps après l’avoir enregistrée, dans un tragique accident de voiture à Rio de Janeiro. Ce titre a quelque chose dans son atmosphère passionnelle, reposée, du « Naima » de Coltrane. Que dire aussi des textes de Gene Lees (Quiet nights of quiet stars) , de Norman Gimbel (Girl frim Ipnema, How insensitive, Meditation) qui sont d’un romantisme enchanteur. Selon Vinicius de Moraes, auteur du texte portugais de « A garota de Ipanema », c’est au charme solitaire d’une naïade de dix-neuf ans se rendant chaque jour à la plage, nommée Helô Pinheiro, demeurant dans le quartier aisé d’Ipanema tout comme Jobim et Moraes, puis rapidement devenue la muse des deux complices, que l’on doit ce classique ; ainsi la dépeint-il dans son « Révélation : la vraie Fille d’Ipanema », paru en 1965 : « le paradigme de la Carioca à l’état brut : une fille bronzée, entre la fleur et la sirène, pleine de lumière et de grâce mais avec un fond de tristesse, aussi portait-elle en elle, sur le chemin de la mer, le sentiment de ce qui passe, d’une beauté qui n’est pas seulement nôtre — c’est un don de la vie que son bel et mélancolique flux et reflux permanent. »[Jean-François  Lupi]

Francis Albert Sinatra & Antonio Carlos Jobim (Reprise #1021, LP released March 1967)

1 - 01/31/67 sinatra+jobim-the girl from ipanema (Garota de Ipanema)
2 - 01/30/67 Dindi
3 - 01/30/67 Change Partners
4 - 01/31/67 Quiet Nights of Quiet Stars (Corcovado)
5 - 01/31/67 Meditation (Meditacao)
6 - 01/31/67 If You Never Come to Me (Inutil Passagem)
7 - 02/01/67 How Insensitive (Insensatez)
8 - 01/30/67 I Concentrate on You
9 - 01/30/67 Baubles, Bangles and Beads
10 - 02/01/67 Once I Loved (O Amor Em Paz)

(Reprise #1028, unreleased except on withdrawn 8-track)

11 - 02/13/69 Song of the Sabia (Sabia)
12 - 02/12/69 Drinking Water (Agua de Beber)
13 - 02/12/69 Someone to Light Up My Life (Se Todos Fossem Iguais a Voce)
14 - 02/13/69 Triste
15 - 02/13/69 This Happy Madness (Estrada Branca)
16 - 02/11/69 One Note Samba (Samba de Uma Nota So)
17 - 02/11/69 Don’t Ever Go Away (Por Causa de Voce)
18 - 02/11/69 Wave
19 - 02/12/69 Off Key (Desafinado)
20 - 02/12/69 Bonita

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